Entreprise en redressement judiciaire : définition et implications
Période suspecte : comment la définir et quelles sont ses conséquences ?
Léna Cazenave
Diplômée d'un Master 2 en droit de la propriété intellectuelle de l'Université d'Aix-Marseille.
Sous la direction de Pierre Aïdan, docteur en droit et diplômé de Harvard.
Les procédures collectives sont des mesures judiciaires qui ont pour but de garantir la poursuite de l’activité d’une entreprise tout en respectant les droits des créanciers. À ce titre, le déroulement des procédures collectives a été conçu pour mettre en balance les intérêts de l’entreprise en difficulté et ceux de ses créanciers.
La période suspecte illustre parfaitement cette mise en balance. Il s’agit de la période avant un redressement judiciaire ou une liquidation. Les actes de gestion accomplis par le dirigeant durant ce laps de temps sont examinés par le tribunal. Quelle est la durée de la période suspecte ? Quelles sont ses conséquences sur les actes passés durant ce délai ? Legalstart vous explique tout dans cet article.
Mini-Sommaire
Qu’est-ce que la période suspecte ?
La période suspecte désigne le délai écoulé entre la date de cessation des paiements et la date de jugement d'ouverture d’un redressement ou d’une liquidation judiciaire. Elle concerne uniquement ces deux procédures collectives.
Il s’agit de la date à compter de laquelle l’entreprise n’a plus été en mesure de faire face à ses dettes grâce à ses liquidités (compte bancaire, caisse, créances clients, etc.). Durant ce laps de temps, les actes de gestion accomplis par le dirigeant sont examinés par le tribunal. Ils peuvent être annulés ou faire l’objet de poursuites.
🛠️ En pratique : la date de cessation des paiements permet de déterminer la période suspecte. Cette dernière est fixée par le tribunal lors du jugement d’ouverture.
📌 À retenir : une déclaration de cessation de paiement doit être effectuée par le débiteur dans les 45 jours après sa survenance.
Quelle est la durée de la période suspecte ?
La période suspecte a une durée variable. Elle débute la première heure du jour de la cessation de paiement ou du dépôt de bilan. Cette date est parfois complexe à déterminer, notamment si l’entreprise a obtenu des délais de paiement ou des remises de dettes.
La fin de la période suspecte est la liquidation judiciaire ou la procédure de redressement engagée. La durée de cette période peut aller jusqu’à 18 mois maximum.
☝️ Bon à savoir : il n’existe pas de période suspecte pour une procédure de sauvegarde judiciaire. En effet, elle ne suppose pas d’état de cessation de paiement.
Quelle analyse des actes passés pendant la période suspecte ?
Lors de la période suspecte, l’entreprise continue de fonctionner de manière habituelle. Seulement, le dirigeant prend conscience que son entreprise fait face à d’importantes difficultés. Il ne sera pas en mesure de rembourser l’ensemble de ses créanciers (fournisseur, bailleur, partenaire, etc.).
L’arbitrage du dirigeant d'entreprise va nécessairement être favorable à certains créanciers et défavorable à d’autres. Pour favoriser certains d’entre eux, il peut décider de payer des dettes non échues. En outre, le chef d’entreprise peut vouloir mettre certains biens à l’abri en accomplissant des actes contestables. Par exemple, une donation ou la vente de biens pour un prix inférieur à leur valeur. C’est pourquoi les actes accomplis durant cette période sont qualifiés de suspects.
Une fois la procédure collective ouverte, ils pourront être remis en cause par le tribunal qui va pouvoir annuler ceux qui portent atteinte au principe d’égalité des créanciers. On parle alors de nullité de la période suspecte.
Qu’est-ce que la nullité des actes passés pendant la période suspecte ?
Quels sont les différents types de nullités des actes suspects ?
Il existe deux types de nullité pour la période suspecte mentionnés dans le Code Civil :
- la nullité de droit lorsque le dirigeant a commis des actes pour évacuer l’actif de son patrimoine ou a porté atteinte au principe d’égalité des créanciers ;
- la nullité facultative évoque des actes de la période suspecte dans le Code du Commerce qui peuvent être sanctionnés par le juge.
☝️ Bon à savoir : les nullités de la période suspecte en redressement judiciaire et en liquidation judiciaire fonctionnent de la même manière.
Quels sont les actes concernés ?
Période suspecte : les actes annulés automatiquement
Certains actes accomplis pendant la période suspecte peuvent être annulés de plein droit. Cela signifie que si l’administrateur ou le liquidateur judiciaire demande la résolution de l’acte, le tribunal est obligé de l’accorder.
C’est notamment le cas :
- des donations réalisées par le dirigeant alors que son entreprise est en état de cessation de paiement. Elles indiquent généralement qu’il tente de mettre des biens à l’abri. Cependant, cela a pour effet d’aggraver son insolvabilité ;
- des contrats déséquilibrés au préjudice de son entreprise conclus pendant la période suspecte. Il peut s’agir de la vente d’un bien de l’entreprise à bas prix ou à l’inverse de l’achat d’un bien pour un coût très élevé. Ces contrats impactent directement la trésorerie de l’entreprise et par conséquent les créanciers ;
- du paiement de dettes non échues lors de la période suspecte. Le dirigeant ne doit pas payer des dettes qui ne sont pas encore exigibles. À défaut, il favorise injustement l’un de ses partenaires au détriment des autres ;
- du paiement de dettes échues par un mode anormal. Par exemple, une situation dans laquelle le dirigeant paie l’un de ses débiteurs non pas par le biais d’un chèque ou d’un virement, mais par le biais de la remise d’un bien. Autrement dit, il ne paie pas en argent, mais en nature. Là encore, il favorise l’un des créanciers au détriment des autres ;
- de la sûreté réelle conventionnelle ou du droit de rétention conventionnel sur des biens de droit de l’entreprise qui concernent des dettes contractées avant la période suspecte ;
- d’hypothèques légales attachées au jugement de condamnation sur les biens de l’entreprise avant la période suspecte ;
- les mesures conservatoires postérieures à la date de cessation de paiement ;
- pour les EIRL uniquement, toute affectation ou modification de l’affectation d’un bien ;
- une déclaration d'insaisissabilité faite pendant la période suspecte ;
- une levée d’options.
🔎 Zoom : un contrat de travail conclu pendant la période suspecte peut être rendu nul. C’est le cas si la rémunération du contrat est largement supérieure aux minimas conformes à la catégorie d'emploi du salarié ou s’il vise à faire bénéficier le dirigeant de droits sociaux. La nullité rétroactive du contrat entraîne la restitution du salaire par l’employé.
Période suspecte : les actes soumis à l’appréciation du juge
Certains actes commis durant la période suspecte sont soumis à l’appréciation d’un juge pour leur éventuelle annulation. Il s’agit :
- des actes à titre gratuit translatifs de propriété mobilière ou immobilière et toute déclaration d'insaisissabilité faits dans les 6 mois avant la cessation de paiement ;
- de tout avis à tiers détenteur, toute saisie d’attribution ou toute opposition effectués par un créancier à compter de la cessation des paiements ;
- du paiement d’actes à titre onéreux ou de dettes échues à partir de la date de cessation de paiement, lorsque le débiteur est au courant de la situation de l’entreprise.
Quels sont les effets de la nullité de la période suspecte ?
L’objectif des nullités de la période suspecte en procédure collective est de reconstituer le patrimoine de l’entreprise pour permettre le remboursement des créanciers. C’est pourquoi, lorsqu’un acte est annulé, cette nullité est rétroactive, mais unilatérale :
- rétroactive, car les effets de l’acte, même s’ils sont déjà passés, deviennent nuls ;
- unilatérale puisque tous les effets de l’acte ne sont pas annulés. Seuls les effets défavorables à l’entreprise en difficulté le sont.
Voici un exemple. Pendant la période suspecte, le dirigeant a vendu un bien de l’entreprise pour obtenir un peu de trésorerie. Cependant, il s’avère que le bien a été bradé : le prix de vente ne correspond même pas à un dixième de la valeur réelle du bien. Le tribunal a donc prononcé la nullité de la vente.
En principe, l’acheteur devrait rendre le bien vendu au vendeur, et le vendeur devrait rendre l’argent déboursé à l’acheteur. Toutefois, ce n’est pas le cas !
En procédure collective, l’entreprise en difficulté qui a bradé un de ses biens en période suspecte le récupère. En revanche, elle n’a pas à en rembourser le prix au créancier vendeur. Le vendeur va donc avoir une créance qu’il doit déclarer au passif du débiteur, en procédant à une déclaration de créances.
FAQ
Qu’est-ce que la période suspecte dans une procédure de tutelle ?
Dans une procédure de tutelle ou de curatelle, il existe une période suspecte de 2 ans. Elle correspond à la période qui précède la mesure. Un juge peut alors annuler les actes passés pendant ce laps de temps s’ils remplissent deux conditions :
- il doit être prouvé que la personne placée sous tutelle ne pouvait pas défendre ses intérêts à cause de l’altération de ses facultés personnelles ;
- la personne avec qui elle a conclu l’acte connaissait sa situation.
Qui détermine le début de la période suspecte ?
Le tribunal détermine le début de la période suspecte lorsqu’il fixe la date de la cessation de paiement.
Qu’est-ce que l’état de cessation des paiements ?
L’état de cessation de paiement est défini lorsqu’une entreprise ne peut pas faire face à son passif exigible (ses dettes) avec ses actifs disponibles (sa capacité de financement).
Principales sources législatives et réglementaires :
- articles L632-1 à L632-4 - Code de commerce
- article 2093 - Code civil
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Léna Cazenave
Diplômée d'un Master 2 en droit de la propriété intellectuelle de l'Université d'Aix-Marseille.
Sous la direction de Pierre Aïdan, docteur en droit et diplômé de Harvard.Fiche mise à jour le
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